Le Prisonnier de l'île aux pécheurs - épisode 12

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Île aux pécheurs – jeudi 19 mars 2020, 20h30

Encore attablés, Ariane et Renaud avaient terminé de dîner, mais poursuivaient tranquillement leur conversation, pas fâchés d’être débarrassés de Norbert parti s’allonger sur une banquette non loin du bar. Quant à Jérôme, il avait quitté la salle à manger juste après le départ de Bruno.

La discussion portait naturellement sur la recherche des raisons de leur enlèvement. Renaud évoquait la piste de la vengeance.

– Chacun d’entre nous devrait passer en revue les évènements de sa vie sujets à règlements de compte, dit le sexagénaire.

– Alors moi, dans mon métier, il y en a beaucoup, répliqua Ariane.

– Je pensais au contraire qu’un mannequin comme vous était un sujet d’admiration.

– Vous rigolez ! Peut-être de la part de ceux qui nous voient défiler ou qui regardent nos photos dans les magazines. Mais entre filles, c’est la guerre ! Je connais plein de « concurrentes » qui doivent se réjouir de mon absence. Mon agent doit d’ailleurs s’arracher les cheveux.

– Vous avez un agent ?

– Oui, c’est obligatoire si on veut percer.

– Excusez mon indiscrétion, mais le bruit court que dans votre métier, pour percer, il faut…

Il hésitait à prononcer le mot. La recherche de la vérité ne l’entraînait-elle pas un peu trop loin ? Ariane lui enleva une épine du pied en terminant la phrase à sa place :

– … coucher. C’est le mot que vous vouliez prononcer ? Je vous trouve bien indiscret.

Elle s’interrogea soudain sur les intentions du sexagénaire. Les sous-entendus rapidement suivis d’une proposition à caractère sexuel, elle avait l’habitude, surtout de la part d’un « vieux ». Et pourtant, s’il savait comme c’était vrai ! Pour elle en tout cas ! Les contrats avec les grandes maisons de couture, elle les avait décrochés en se servant de son corps. Pour améliorer son existence, elle avait même cédé à d’autres hommes, extérieurs au monde de la mode. Dans un contexte différent, elle aurait jaugé les moyens financiers et les relations de son interlocuteur avant de répondre. Elle préféra lui renvoyer la balle :

– Et vous ? Vous avez des ennemis ?

– Certainement. Avant d’être à la retraite, je ne me suis pas fait que des amis dans ma vie professionnelle.

– Vous faisiez quoi ?

La gêne avait changé de camp. Il hésita à répondre. À quoi bon le lui cacher, il n’y avait pas honte à avoir exercé ce métier.

– J’étais psychiatre.

– Ça crée des ennemis ?

– Plus que vous ne pourriez l’imaginer. Les gens que j’ai fait interner, ou au contraire, les assassins reconnus responsables de leurs actes suite à mes expertises. Un beau terreau pour développer des appétits de vengeance.

Ariane frissonna. Jusqu’à présent, elle s’était focalisée sur sa captivité. Le mot vengeance sous-entendait des choses plus graves.

–Vous pensez qu’« ils » veulent nous tuer ? demanda-t-elle, inquiète.

– Je n’en sais rien. C’est une hypothèse.

– Mais dans ce cas, pourquoi nous retenir ici ? Il aurait été plus simple pour eux de nous assassiner tout de suite.

– Peut-être veulent-ils nous faire réfléchir à nos actes passés. J’essaie de me souvenir de toutes les choses pas très clean j’ai pu réaliser dans ma vie et que je pourrais regretter. Et vous ? Vous êtes jeune, mais vous avez sans doute déjà commis des actes que vous regrettez aujourd’hui ?

– Non, je ne vois pas.

– Réfléchissez bien. Vous avez fait fantasmer de nombreux hommes. Ça peut se révéler parfois lourd de conséquences.

Quel rapport ? pensa-t-elle. La discussion devenait pesante. Non, elle ne regrettait rien. Il était temps de mettre fin à la conversation.

– Tout ça ne nous avance à rien, conclut-elle. Je préfère ne pas continuer. Je monte me coucher. Bonne nuit.

Dommage ! Il aurait souhaité poursuivre et la pousser dans ses retranchements. Il reviendrait à la charge, ce n’était que partie remise !