Le Prisonnier de l'île aux pécheurs - épisode 15
- Alain DECORTES
- 6 avr. 2020
- 3 min de lecture

15
Île aux pécheurs – le même jour, 23h50
Bientôt minuit ! Impossible de trouver le sommeil. Trois heures s’étaient déjà écoulées depuis que Claire était remontée du jardin, s’était couchée et avait éteint la lumière.
Elle avait l’impression d’étouffer. Elle repoussa la couette au pied du lit, estimant suffisante l’étoffe de son pyjama pour la protéger de la fraîcheur de la nuit.
Elle s’était longuement remémoré la conversation avec Bruno dans le jardin, s’interrogeant sur les hypothèses qu’il avait émises, surtout celles axées sur la religion.
Pourquoi était-elle descendue le rejoindre dehors ? Peut-être pour chasser le trouble qu’elle avait ressenti à midi, au moment où il était apparu dans la salle à manger. Ou simplement pour savoir si elle pourrait lui parler comme avant… Comme avant le 14 mars 2011. Une fois de plus, les souvenirs défilèrent.
Paris – neuf ans plus tôt, lundi 14 mars 2011, 15h
Claire quitta l’hôtel Bristol et monta dans le premier taxi qui attendait devant l’établissement.
– À la Sorbonne, s’il vous plaît ! demanda-t-elle au chauffeur. Je suis pressée.
– Pas d’problème, ma p’tite dame. Juste la Seine à traverser. Vous serez arrivée dans moins de dix minutes.
De toute façon, elle serait en retard, la conférence avait déjà commencé.
Un quart d’heure plus tard, après avoir ouvert son sac aux vigiles et passé le portique de sécurité, elle pénétrait dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne (https://www.youtube.com/watch?v=FwKuOY4d7p4).
Elle s’installa discrètement sur un banc au sommet des gradins. Cinq orateurs se relayaient sur la scène. Le thème de la conférence était :
« L’Histoire et les dérives des religions »
Tout un programme qui n’intéressait absolument pas Claire.
La jeune femme trouvait qu’elle était trop loin. Elle aperçut une place libre dans les premiers rangs. Elle la gagna discrètement pendant le passage de parole entre deux conférenciers.
Enfin, elle le voyait de près. Il venait de prendre le micro. À part ses tempes qui commençaient à grisonner, Bruno n’avait pas beaucoup changé. Claire était admirative de l’aisance dont il faisait preuve pour parler, pour expliquer comment l’Inquisition avait pu s’imposer en Europe au XIIe siècle.
La conférence se termina à dix-sept heures. Claire se précipita sur la scène pour retrouver Bruno qui la reconnut immédiatement.
– Claire ! Quelle surprise ! lui lança-t-il avec un plaisir non dissimulé.
Ils s’embrassèrent. Elle le félicita pour sa prestation.
– Tu m’attends ! commanda le professeur d’histoire. J’ai quelques mains à serrer. Notoriété oblige. Je n’en ai pas pour longtemps. Après, on prend un verre ensemble ! D’accord ?
– D’accord !
Une demi-heure plus tard, installés à une table du café L’Écritoire, les deux anciens lycéens se racontaient une tranche de dix années d’existence. Ils ne s’étaient en effet pas revus depuis le mariage de Claire.
La jeune femme s’excusa par avance d’avoir peut-être à répondre au téléphone si l’ambassade du Japon l’appelait. Elle en profita pour parler à Bruno de la fondation Dan Lachard.
De son côté, Bruno expliqua que ses conférences n’étaient qu’un complément à son métier d’enseignant qu’il exerçait toujours.
– Comment se fait-il que tu sois venue assister à la conférence ? demanda-t-il. Tu m’as fait une bonne surprise.
– Un hasard, mentit-elle. Je passais devant la Sorbonne. J’ai vu ton nom sur une affiche, alors j’ai voulu entrer pour t’écouter.
Elle n’allait pas lui avouer qu’en découvrant son nom sur un dépliant à l’hôtel, elle avait été prise d’un fort désir de le revoir. Cependant, elle aurait dû savoir qu’aucune affiche n’était autorisée à l’entrée de la Sorbonne, classée monument historique. Détail que connaissait Bruno, habitué de l’endroit.
Tout en l’écoutant, il l’observait. Elle était magnifique et d’une incroyable élégance avec son tailleur Chanel, ses bagues et son alliance sertie d’énormes brillants. Elle est presque devenue trop classe ! pensa-t-il. Cette impression se renforça quand elle lui apprit qu’elle vivait en Suisse, était venue à Paris en avion et résidait à l’hôtel Bristol. Mal à l’aise, il n’osa pas lui avouer que lui était arrivé la veille par le train en seconde classe et avait loué une chambre à l’Ibis de la gare du Nord.
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