Le Prisonnier de l'île aux pécheurs - épisode 16

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Paris – lundi 14 mars 2011, 20h30

À l’heure qu’il était, l’ambassade du Japon ne téléphonerait plus. Au mieux, ce serait pour le lendemain. Claire se félicitait de son initiative de l’après-midi. Sans la rencontre avec Bruno, elle serait restée dans sa chambre à broyer du noir.

Ils étaient intarissables. Le verre de l’amitié avait duré plus de deux heures. Bruno avait proposé de rester à L’Écritoire pour dîner, ce que Claire avait volontiers accepté. Ils avaient encore tant de choses à se raconter.

Les confidences s’étaient réinstallées comme au temps du lycée. Le mojito qui avait précédé le repas avait beaucoup aidé. Claire avait même récidivé. Elle se sentait bien et se laissait porter par cette sympathique atmosphère de retrouvailles.

Bruno était moins serein. Il dévorait Claire du regard. Il la désirait. Pourtant, il se l’interdisait. Elle lui avait expliqué le bonheur de son couple. Elle avait trois enfants…

Il pensa à sa propre vie amoureuse. Rien de comparable. Sporadique, erratique. Le terme « vie amoureuse » était au demeurant inapproprié. « Assouvissement de besoin charnel » aurait mieux convenu. Et encore, quand il avait le temps, tellement il était absorbé par son métier et par sa passion pour l’Histoire. Il avait d’ailleurs commencé à créer son petit musée personnel en acquérant des manuscrits auprès de collectionneurs dès qu’il avait quelques économies en poche.

Le pire était qu’il avait avoué à Claire tous les détails de sa vie intime. Retour en force des confidences lycéennes ! Quel imbécile je suis ! se dit-il. Sa vie était à des années-lumière de celle de Claire rythmée par les mots famille, couple, valeurs…

Il luttait.

Il lui effleura la main pour lui passer le sel. Geste involontaire ? Il avait envie de la lui prendre pour la lui caresser, mais il résista.

Étrangement, Claire ne jugeait pas Bruno. Il avait choisi une route différente de la sienne. Elle respectait ce choix. Elle aussi était admirative. La carrière professionnelle ? Certainement. En effet, pour elle, c’était différent. À la demande de Daniel, elle avait tiré un trait sur sa carrière d’avocate pour être aux côtés de sa famille. La gestion de la fondation n’était qu’un gadget pour s’occuper, mais absolument pas une vocation. Elle pratiquait bien quelques activités récréatives comme le fitness, la poterie et la peinture. Pas de quoi rayonner en société !

Elle aussi était perturbée. Bruno lui avait tenu la porte, avait ramassé son foulard quand il était tombé et il lui parlait avec beaucoup de gentillesse. Des attentions que Daniel n’avait pas montrées depuis longtemps.

Et maintenant leurs mains qui venaient de s’effleurer… Un frisson intérieur l’avait traversée.

Elle réfléchissait trop. Alors pour penser à autre chose, se moquant de l’inconvenance, elle demanda à Bruno de lui remplir encore son verre. Celui-ci l’accompagna et ils trinquèrent une nouvelle fois aux années lycée.

Vers vingt-trois heures, un peu de lucidité rappela Claire à l’ordre.

– Il est déjà tard, je dois rentrer, annonça-t-elle à Bruno. J’ai besoin de faire un gros dodo pour récupérer parce que je crois que j’ai un peu abusé du mojito et du vin blanc. En tout cas, merci. Tu m’as fait passer une excellente soirée. J’ai beaucoup aimé notre conversation.

– Merci à toi aussi, répliqua Bruno. Idem pour moi.

Il avait rêvé à une fin de soirée moins brutale. Mais pouvait-il en être autrement ?

– On va appeler un taxi. Vu l’heure, c’est plus prudent que le métro.

Il régla l’addition et accompagna Claire jusqu’à la station de taxis.

Il lui ouvrit la portière et l’embrassa sur les deux joues. Elle se glissa à l’intérieur de la voiture, puis annonça au chauffeur :

– Hôtel Bristol, s’il vous plaît !

Bruno la regarda une dernière fois. Il avait comme un étrange pressentiment.