Le Prisonnier de l'île aux pécheurs - épisode 24

24

Tous regardèrent Bruno se lever et passer derrière le comptoir du bar. Il ouvrit le placard et glissa la main au fond du rayon pour en ressortir la bouteille de Speyside.

– Qu’est-ce que vous faites ? demanda Renaud.

– Un détail à vérifier et je vous réponds.

Le prof d’histoire resta un instant le dos tourné avant de pivoter pour faire face au groupe. De derrière le comptoir, il montra la bouteille et expliqua sa découverte depuis cette chaire improvisée comme il aurait dispensé un cours à ses élèves :

– C’est le whisky de Norbert. Ce brave garçon s’empresse de le cacher au fond du placard chaque fois qu’il nous quitte. Ne remarquez-vous rien de bizarre ?

En réponse au silence du groupe, il enchaîna :

– Norbert ne peut pas s’empêcher d’en boire une gorgée à chaque parole qu’il prononce. Pourtant le niveau reste toujours le même !

– Mais oui, vous avez raison, manifesta Jérôme.

– Étrange un ivrogne qui fait semblant de boire, continua Bruno. Approchez Jérôme ! Nous allons trinquer ensemble.

– Mais c’est que…

– N’ayez pas peur, répondit Bruno en remplissant deux verres. J’ai déjà goûté pendant que je vous tournais le dos.

L’air peu rassuré, le docteur se rendit au bar. Il saisit le verre que lui tendait Bruno et but une petite gorgée.

Il marqua un silence avant de déclarer à tous :

– Ce n’est pas du whisky, c’est du jus de pomme !

Une discussion débridée s’engagea dans le groupe. Chacun exprimait sa surprise et faisait part de ses commentaires. Une conclusion s’imposa rapidement : Norbert était de connivence avec ceux qui les retenaient prisonniers. Une sorte d’espion, déguisé en ivrogne, pour les surveiller. Sans doute n’aimait-il pas le whisky au point de le remplacer par du jus de pomme. Dommage pour lui : ce détail l’avait trahi.

L’attitude de Norbert envers Ariane restait toutefois un mystère. Peut-être voulait-il simplement profiter de la situation en se croyant tout permis avec le joli modèle.

– Venez avec moi, Bruno. Allons récupérer Norbert dans sa chambre pour lui demander des explications !

Les deux hommes montèrent à l’étage. La chambre était fermée à clé. Ils cognèrent contre la porte sans obtenir de réponse.

– Pas sûr qu’il soit là-dedans. Redescendons. Il faut tous partir en chasse pour le retrouver. De mon côté, je vais chercher de quoi défoncer la porte.

Cinq minutes plus tard, le plan de bataille était monté. Renaud et Ariane fouilleraient l’hôtel, Claire et Bruno les jardins, pendant que Jérôme chercherait le moyen de pénétrer dans la chambre.

Bruno et Claire parcoururent les allées sans trouver Norbert. Bruno profita de la promenade improvisée pour faire part à Claire des réflexions de ses deux jours d’enfermement :

– Depuis le début, je cherche un rapport entre nous six, ou plutôt cinq. Aucun ! Je suis sûr que nous sommes la cible d’une bande d’illuminés qui nous reprochent des malversations que nous aurions pu commettre, mais sans rapport les uns avec les autres.

– Si au moins, on pouvait savoir ce qu’on nous reproche, répliqua Claire.

– J’ai eu l’occasion d’étudier les méthodes de certaines sectes. On peut tout imaginer : du simple larcin jusqu’au crime. Pour ma part, je n’ai tué personne, mais dans ma vie professionnelle, il m’est arrivé de jouer des coudes pour griller des collègues. Et entre les deux, la liste est longue. Et toi ?

Elle réfléchit. Un peu trop longtemps aux yeux de Bruno. Il insista.

– Corruption ? Ça t’irait ? finit-elle par avouer.

– Oui.

– J’ai aidé Daniel à percer dans le monde du golf. Pas toujours en utilisant des moyens recommandables. Mais c’était il y a longtemps et je n’ai pas envie de développer.

– OK. Je n’insiste pas.

Ils étaient revenus jusqu’à l’hôtel. La propriété était si vaste qu’ils ne l’avaient que partiellement explorée. Ils contournèrent l’aile sud du bâtiment et virent du monde devant la façade.

Ariane pleurait. Renaud la tenait par l’épaule. Jérôme était accroupi au-dessus d’un corps étendu sur les dalles, celui de Norbert.