L'Auberge de la vérité Acte 2 Scène 12
(Henriette, Maître Linéaire, la monitrice)
On frappe à la porte.
Henriette : V’la que les clients frappent maintenant. Entrez !
Maître Linéaire entre.
Maître Linéaire : Maître Linéaire, huissier de justice. Je suis bien à l’Auberge de la Vérité ?
Henriette : Oui, mais depuis que vous êtes entré, ce serait plutôt l’Auberge des Vautours. (Le menaçant de sa canne). Retournez donc d’où vous venez !
Maître Linéaire : Cela ne sert à rien de me chercher des becs, car même quand on me renvoie, je rapace toujours. Bon, faut qu’on commence ! On n’a pas mille ans devant nous. (Il sort un papier de sa serviette). J’ai ici un acte signifiant le commandement pour réaliser un inventaire des meubles et objets de valeur en vue de leur saisie imminente afin de régler les dettes dont l’injonction a été prononcée le premier jour ouvrable du mois suivant la mise au contentieux de la débitrice pour les dites dettes dont le montant majoré des frais de relance n’a pas été payé auprès de l’organisme financier agissant par subrogation de l’établissement bancaire de la débitrice.
Henriette : Vous avez pas soif ?
Maître Linéaire : Non, merci. Je suis sobre comme un chameau, et il faut que je bosse. Je dois faire mon travail heb-dromadaire de la semaine. Alors, commençons l’inventaire. (Il prend un carnet et un stylo et inscrit la liste des meubles et objets). Un comptoir. Quatre chaises. Une table. Deux tableaux (on ajoutera ici les objets du décor)… Quatre entonnoirs… Quatre entonnoirs ? Dîtes-moi, c’est quoi ça ?
Henriette : Ben, des entonnoirs. Vous êtes miraud ou quoi ? En plus, vous venez de le dire !
Maître Linéaire : J’avais bien vu. Mais à quoi servent-ils, ces entonnoirs ?
Henriette : Je les place ici pour éloigner les girafes !
Maître Linéaire : Pour éloigner les girafes ? Mais, il n’y a pas de girafes dans la région.
Henriette : Ben évidemment, c’est normal, puisque j’ai mis les entonnoirs ! En tout cas, ça a pas l’air de marcher pour les ânes ! Quel zèbre celui-là !
Maître Linéaire : ??? Bon, reprenons l’inventaire !
La monitrice entre et traverse la pièce en courant.
La monitrice : Laurent ! Gina ! (à l’huissier) Laurent ! Gina ! Vous n’avez pas vu Laurent, Gina ?
Maître Linéaire : L’Orangina ? Non, ce n’est pas pour aujourd’hui. Le recensement du stock de boissons n’est pas prévu dans mon inventaire !
La monitrice :???
La monitrice sort.
Maître Linéaire reprend son inventaire.
Henriette se lève, va vers la porte de la cave, l’ouvre, entre dans la cave, referme la porte, puis ressort presque immédiatement, tenant une ampoule électrique à la main.
Henriette : Le tableau « La Ronde de Nuit » de Rembrandt, vous ne le mettez pas dans votre inventaire ?
Maître Linéaire : Un Rembrandt ? Vous avez un Rembrandt ici ?
Henriette : Ben, bien-sûr, ma nièce adore Rembrandt.
Maître Linéaire : Où est-il, ce tableau ?
Henriette : Ma nièce l’a rangé à la cave, ça jurait trop avec le reste de la décoration. La cave c’est par là ! (elle indique la porte de la cave).
Maître Linéaire : (en aparté) Un Rembrandt à la cave. Des fous, ce sont des fous ! (il ouvre la porte de la cave et entre) (Voix off) Il fait noir.
Henriette : C’est normal, « La Ronde de Nuit » est un tableau de la période clair-obscur de Rembrandt.
Maître Linéaire : La lumière ne marche pas.
Henriette : Oui, je suis au courant. Avancez, c’est tout droit.
Maître Linéaire : (tombant dans le trou) Aaaaaaaah !
Henriette : (elle chante) : Non ! Rien de rien, Non ! Je ne regrette rien, Ni le bien qu’on m’a fait, Ni le mal tout ça m’est bien égal !
Pendant qu’elle chante, Henriette retourne replacer l’ampoule électrique dans les escaliers de la cave. Elle revient et marque une croix à la craie sur le tableau accroché au mur, attrape la bouteille de liqueur et en boit une gorgée, se rassoit et reprend ses mots fléchés.
